DHAULAGIRI I: 1ÈRE ASCENSION EN MAI 1960

Par Nadia Hügli

L’EXPÉDITION DE 1960

Le Dhaulagiri, dont le nom sanscrit «Dhavali giri» signifie «Montagne blanche», fait partie du massif himalayen composé de cinq sommets, d’altitude entre 7268 m pour le plus bas à 8167 m pour le Dhaulagiri I. Voisin des Annapurnas, il a été longtemps considéré comme le plus haut sommet du monde.

Une première tentative d’ascension par l’expédition française sous la conduite de Maurice Herzog en 1950 se solde par un échec, les alpinistes ne trouvant pas de voie accessible au sommet.

Sept autres tentatives suivent entre 1953 et 1959, dont celle menée par le Lucernois Max Eiselin en 1958, mais sans succès.

En 1960, Max Eiselin obtient l’autorisation du Népal pour un nouvel essai.

Il s’entoure d’une équipe de dix alpinistes, formée des Suisses alémaniques Peter Diener, Albin Schelbert, Ernst Forrer, des trois Romands Hugo Weber, Michel Vaucher, Jean-Jacques Roussi, des deux Polonais Georges Hajdukiewicz et Adam Skoczylas, de l’Américain Norman Dyhrenfurth et de l’Autrichien Kurt Diemberger, ainsi que du pilote d’avion Ernst Saxer et du mécanicien Emil Wick.

Le 13 mai 1960, le sommet est atteint par une première équipe, et dix jours plus tard, Hugo Weber et Michel Vaucher sont aussi au sommet.

FICTION, 60 ANS PLUS TARD

60 ans plus tard, c’est l’occasion de laisser la parole, imaginaire, à deux de ces participants, Hugo et Michel.

Michel – Tu te souviens, Hugo, la première fois que tu m’as parlé de faire partie de l’expédition de Max au Dhaulagiri? J’avais 23 ans à cette époque et tout en grimpant beaucoup, je n’avais jamais encore participé à une expédition, encore moins en Himalaya!

Hugo – Bien sûr! Mais j’étais sûr que ça allait te plaire. Tu passais déjà tant de soirées à lire des récits d’expédition, à imaginer ces alpinistes en action…

Michel – Tu as su aussi me vanter les qualités d’organisateur de Max! Seulement, il fallait trouver l’argent pour le matériel et le salaire des porteurs, et je n’étais qu’un étudiant. J’en ai passé du temps à écrire aux fabricants de matériel de sport! Heureusement qu’on a fait l’action cartes postales et que Max a eu le culot de proposer aux sections du CAS et à d’autres clubs de payer par avance les conférences qu’on organiserait au retour!

Hugo – Et notre petit avion, le Yéti? Tu t’en souviens? C’est encore Max qui avait eu l’idée: il savait qu’il y avait un bon plateau neigeux au col N-E où Ernst et Emil pourraient déposer nos cinq tonnes de matériel et une partie de l’équipe, avant l’arrivée de la mousson.

Michel – Ah oui, l’avion en Himalaya! Ça nous a valu bien des critiques: aller directement à 5700 m sans acclimatation, pure folie…!

Hugo – C’est vrai que, le 3 avril, quand toi et moi sommes montés les derniers depuis Pokhara pour rejoindre toute l’équipe au Dapa-Col, à 5200 m d’altitude, on avait l’impression d’avoir trop bu! Au camp, les autres étaient aussi plutôt mal en point, entre maux de tête et vomissements, à part Jean-Jacques! Lui vivait au Népal depuis deux ans et avait l’habitude d’aller en haute altitude.
– Heureusement que le Yéti pouvait redescendre momentanément les malades, surtout notre Polonais, Adam, qui perdait la tête entre euphorie et prostration!

Michel – Mais bon, au bout de quelques jours, tout allait mieux, malgré les -20°: le camp de base était installé à 4800 m, les repas préparés par nos sherpas. Mais on piaffait surtout d’aller rejoindre Kurt, Ernest, Albin et les sherpas qui étaient montés avec le Yéti au col N-E à 5700 m. C’est alors qu’on a appris que l’avion avait une avarie au moteur et restait coincé à Pokhara. Donc c’est à pied que nous avons entamé les aller-retour pour les portages au col N-E», pour finir par rejoindre nos amis, maintenant bien acclimatés».

Hugo – Oui, ils étaient à 5700 m depuis 3 semaines quand nous les avons rejoints, moi le 27 avril avec Peter et toi le lendemain avec Jean-Jacques. Mais c’était quand même un sacré dénivelé, plus de 1000 m, avec les énormes charges sur le dos. Même Norman le cinéaste et Georges le toubib faisaient les portages! Quelle belle équipe!

Michel – Surtout, c’était une belle surprise de voir que les premiers arrivés au camp II avaient aussi déjà été mettre le camp III à 6600 m et le camp IV à 7050 m, malgré le vent à plus de 60 km/h et les chutes de neige quotidiennes.

Hugo – Ils avaient d’ailleurs repéré un bon endroit à 7800 m pour mettre une tente, mais le mauvais temps les en avait chassés. Et tu te souviens, quand nous étions à 7450 m: 9 personnes à attendre le beau, serrées comme des sardines. C’était le 10 mai.

Michel – Je me souviens surtout que je n’en menais pas large, avec mes orteils gelés. J’ai même dû redescendre à 5700 m pour essayer de les récupérer; Jean-Jacques et toi m’aviez fait des massages des pieds plus d’une heure durant! Ouille! c’était douloureux, mais ça avait marché! Mais vous, très en forme, vous étiez remontés au camp III.

Hugo – Oui, c’est là qu’on a retrouvé Albin, Ernst, Kurt, Peter et les deux sherpas Nima et Dawang Dorje, qui redescendaient du sommet, radieux. Ils avaient eu la chance de ne pas avoir eu de vent. C’était le 13 mai à midi. Du coup, c’était encore plus tentant pour nous et on peut encore remercier Max de nous avoir donné une chance d’aller nous aussi là-haut, alors que son expédition était réussie, et qu’on aurait tous pu redescendre à Pokhara!

Michel – Si je me souviens bien, il y a eu ensuite pas mal d’aller-retour entre le camp V à 7450 m et le camp VI à 7800 m. On avait bien essayé d’aller au sommet, mais il y avait tellement de vent! Et il faisait -20° dans la tente!

Hugo – C’est d’ailleurs en redescendant au camp V que je te dois une fière chandelle: une petite coulée de neige m’avait déséquilibré, j’ai commencé à glisser, entraînant Jean-Jacques, et toi, tu as planté ton piolet avec la dernière énergie, en sauvant tout le monde! Sacré gaillard, ce Michel!

Michel – Mais ça valait la peine de reprendre des forces, car le 23 mai, grand ciel bleu, peu de vent: c’était le moment! Sans Jean-Jacques qui avait malheureusement perdu son piolet, tous les deux, nous sommes remontés, lentement, une respiration après l’autre, d’abord à 7800 m en 3 heures et demie, puis sur l’arête sommitale, aérienne et aiguisée par le vent. A 18h15, nous étions au sommet, ivres de joie. Et tout ça sans oxygène! A 8167 m!

Hugo – Bon, on ne va pas parler du retour jusqu’au camp de base, avec une seule lampe de poche pour éclairer notre descente jusqu’au camp VI, pour trouver les tentes enfouies sous un mètre de neige. Mais quel accueil nous avons eu, de retour au camp de base! Nous n’étions pas peu fiers de recevoir les félicitation de Max!

Hugo et Michel – 60 ans ont passé depuis, mais c’est comme si c’était hier encore, dans nos têtes. On a fait une belle équipe, nous deux!

Le « Yéti » au Dapa-Col (5200 m). La Pointe de Tsukucha (au centre) cache le Dhaulaghiri Source: Alpe Neige Roc, p 130

Sources:
Alpe Neige Roc, Ed. Marguerat Lausanne, 1960, article de Michel Vaucher pp. 121 et suivantes
Documentaire de la SF1 du 10 mars 2011 sur la deuxième ascension au Dhaulagiri, texte d’Hugo Weber.

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